Subsistance, prédation et conflits d’usage dans le “Roman de Renart”

Colloque international Animali Eroi nella Letteratura Medievale
Université de Trento (Italie), 25-28 septembre 2024

À l’occasion du colloque international sur les « animaux héros dans la littérature médiévale », qui a rassemblé à l’université de Trento des chercheurs venus de nombreux pays (Italie, France, Espagne, Belgique, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Roumanie, Israël, Grande-Bretagne, Irlande, Canada, États-Unis et même Japon), le Pôle Rural a présenté dans le cadre de son programme de recherche « Dans et autour des forêts normandes » (DAFNOR) une communication intitulée « Subsistance, prédation et conflits d’usage dans le Roman de Renart ». En proposant d’analyser cette œuvre médiévale majeure selon le point de vue des animaux et de fait sous l’angle de l’écologie, le Pôle Rural s’est inscrit dans les pas de l’historien Mathieu Arnoux dont les derniers travaux ont donné lieu à une belle publication sur la disponibilité des ressources entre le XI^e et le XIV^e siècle (Un monde sans ressources, 2023). La branche XI du Roman de Renart, « Les vêpres de Tibert », écrite vers la fin du XII^e siècle par Richard de Lison, qui témoigne d’un ancrage géographique et historique fort à l’ouest de la Normandie, permet d’aborder de manière concrète les problèmes liés à la subsistance et aux relations conflictuelles entre la nature et la société féodale.

La reconstitution du paysage, naturel et bâti, ainsi qu’un essai cartographique ont permis de montrer à quel point le parcours de Renart le Goupil et Tibert le Chat est semé d’embûches. En raison de l’anthropisation du paysage, le recul des habitats naturels des animaux sauvages est prégnant dans cette branche XI du Roman de Renart. Il résulte de plusieurs phénomènes s’effectuant quasiment en même temps :  extension du bâti et aménagement de la nature dus à une forte croissance économique et démographique (développement des châteaux et des bourgs, multiplication des moulins, lancement de nouvelles constructions monumentales avec l’avènement du style gothique) ; extension de l’agriculture et de l’élevage sur des espaces sauvages tels que les forêts (défrichements et mises en culture) et les landes (conversion des landes en prairies, construction du bocage) ; partage des espaces sauvages avec les hommes et leurs animaux domestiques entraînant des conflits d’usage avec les animaux locaux (introduction du bétail dans ces espaces, utilisés également pour les besoins de l’homme : exploitation des bois, apiculture, installation de pièges) ; pratique d’une chasse incontrôlée (mauvais choix de la période de chasse, besoin de limiter la chasse aux usagers) et domestication du sauvage au moyen d’enclos (garennes, parcs à gibier). Ainsi, Mathieu Arnoux a parfaitement raison de considérer le Roman de Renart comme une source historique à part entière car, selon lui, il offre « un paysage extraordinairement évocateur des années 1180-1210, observé par l’œil des animaux qu’il faut à la fois considérer comme tels, et comme autant de seigneurs féodaux ».

Élisabeth Ridel-Granger
Pôle Rural