L’effet de réel en art

Après une première séance sur le concept de ressemblance en septembre, les membres de PhiLiA ont poursuvi le 8 octobre leurs réflexions sur la question de l’effet de réel en art à l’occasion d’une séance portant sur les genres audiovisuels.

La première intervention, de Julia Beauquel (chercheuse associée aux Archives Poincaré) (dont on trouvera un résumé plus complet ici) était consacrée au cinéma, dans une perspective goodmanienne. Au-delà des actions nécessaires à la projection des films, à leur diffusion ou à leur restauration, il est intéressant d’examiner un paradoxe quant à l’appréciation des œuvres cinématographiques : si Goodman préconise d’être un regardeur attentif à la « non-transparence » des œuvres d’art en général – de considérer toujours les symboles qui les constituent, et non simplement ce à quoi ils réfèrent – force est de constater que la réception des œuvres de cinéma consiste souvent en une tendance contraire, encouragée par les artistes eux-mêmes, à « entrer dans le film », à adhérer à son contenu tout en consentant à l’illusion de réalité que nous offrent des réalisateurs à la pointe du progrès technique et des acteurs tant obnubilés par leur personnage qu’ils y dissolvent leur propre identité. Autrement dit, bien des cinéastes cultivent la « transparence » du cinéma, qui, à l’instar de la photographie et en tant que forme d’enregistrement, semble inviter son public à « traverser » ou disons, à ignorer ses procédés de réalisation (manières de filmer et de jouer) pour plonger dans ce qui est fait, dit ou raconté par ceux-ci. Une œuvre de cinéma est-elle, ou non, transparente ? La distinction entre une logique immersive et une logique goodmanienne favorable à un regard informé est-elle exclusive ? Julia Beauquel s’intéressa tout à la fois à l’immersion du spectateur et à l’immersion de l’acteur dans son personnage. Ce faisant, la question n’est plus seulement celle de la bonne appréciation d’une œuvre cinématographique, mais aussi celle du plaisir particulier que l’on a à voir des acteurs qui se sont immergés dans leurs personnages. Un fil rouge de la conférence fut ainsi les différents rôles de Daniel Day-Lewis.

Dans le second moment de la séance, Hugo Clémot (maître de conférence en philosophie de l’art à l’université Gustave Eiffel, spécialiste de la pensée de Stanley Cavell) présenta ses recherches en cours sur le genre audiovisuel du True Crime, dont Jean-Xavier Lestrade fut un pionnier avec la série Soupçons. Partant d’une définition de l’effet de réel comme l’effet mental d’un film ou d’une série sur l’esprit du spectateur (qui le conduit à croire que ce qu’on lui montre est fidèle à la réalité), et après avoir rappelé les premiers débats philosophiques sur la vocation « réaliste » ou « créationniste » du cinéma, l’exposé constatait qu’un large accord semble demeurer depuis les années 1970 sur l’idée que les images animées sont toujours productrices d’illusions et que l’effet de réel cinématographique est toujours le résultat d’une construction. L’intervention conduisait alors à poser la difficulté suivante : dans cette perspective ontologique générale, l’ontologie régionale des genres artistiques et spécialement cinématographiques ne peut pas ne pas poser problème, car comment un genre comme le True Crime, qui prétend rapporter la vérité sur des faits réels, pourrait-il tenir parole si tout est toujours construit et finalement illusoire ? Non seulement cette thèse selon laquelle l’effet de réel cinématographique est nécessairement illusoire n’est pas irrésistible, mais on peut en outre soutenir qu’elle ne permet pas de penser quels effets incontestables le cinéma en général et le True Crime en particulier peuvent avoir sur le réel, comme quand certaines œuvres du genre permettent de sauver la vie de condamnés à mort innocents en attirant l’attention de la justice sur des aspects du réel restés jusqu’à elles inaperçues ou quand elles agissent sur la réalité en poussant des criminels aux aveux. Ces effets du genre sur le réel sont également mis en évidence par les problèmes éthiques et juridiques qu’il soulève. L’exposé examinait finalement certaines de ces implications éthiques, telles que l’exploitation des victimes et la fascination morbide pour le crime. Il proposait plusieurs pistes historique, philosophique et cinématographique pour répondre à cette dernière préoccupation.

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