La PMA pour les femmes seules 

Le 16 mars 2023 avait lieu la 10^e journée « étudiants-citoyens » de l’Espace de Réflexion Éthique en Normandie, sur le thème de la PMA pour les femmes seules. Un cas clinique fictionnel était soumis à la sagacité d’étudiants de philosophie, de droit, de maïeutique, de médecine, et du master « éthique en santé » : une jeune femme de 19 ans, Pauline, a été violée à 17 ans. Elle a porté plainte mais n’a pas souhaité suivre une psychothérapie. D’un milieu modeste, elle a toujours voulu avoir des enfants jeunes, mais actuellement, elle refuse d’avoir des relations amoureuses et sexuelles avec un homme. Elle demande une PMA au centre-référent de sa région. Quelle est la réponse la plus appropriée à lui apporter ? Une dizaine d’étudiants de philosophie de L2, L3 et master[1] ont travaillé sur ce cas, encadrés par Maud Pouradier.

Les étudiants juristes commencèrent par rappeler que, tant dans le droit européen que dans le droit français, l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur toute autre considération. Ils insistèrent sur tous les contentieux qui pouvaient survenir en cas de refus de la demande, mais aussi en cas d’acceptation de la demande. À supposer que la situation psychologique de Pauline devienne instable suite à la réalisation de cette PMA, la responsabilité du corps médical pourrait par exemple être engagée. Grégoire Moutel souligna que l’intérêt supérieur de l’enfant virtuellement conçu par PMA devait être pris en considération lorsque des femmes souffrant de graves troubles psychiatriques se présentaient au corps médical. La réponse apportée à leur demande dépend de la stabilité de l’état de la patiente, de la continuité des soins dont elle bénéficie, ainsi que de la présence d’un entourage familial solide.

S’inspirant de la philosophie contemporaine de l’action et de l’éthique analytique, les étudiants philosophes proposèrent de faire varier fictionnellement le cas, afin de comprendre les paramètres de nos intuitions éthiques. Deux éléments semblaient décisifs : la question de l’éventuelle pénurie de gamètes, obligeant à hiérarchiser les demandes, et la question du caractère causal du viol dans la demande de Pauline. Si l’intention de Pauline n’a jamais varié – avoir des enfants jeunes – la forme de sa demande semble avoir été modifiée par l’agression qu’elle a subie. Est-il adéquat, sur le plan éthique, qu’un viol qu’on a subi fasse partie de la « raison primaire » (pour reprendre une expression de Donald Davidson) de l’accomplissement d’un projet de vie ? Leur conclusion fut que la continuité du projet de vie devait être prise en compte, et qu’il ne fallait pas aboutir à la situation paradoxale où la victime aurait à souffrir d’une discrimination en raison de la plainte qu’elle a eu le courage de déposer.

Les étudiants en santé, quant à eux, furent attentifs aux examens médicaux que Pauline auraient à subir dans le cadre d’une PMA. Ne risqueraient-ils pas de raviver le traumatisme de l’agression dont elle a été victime ? Les étudiants en médecine proposèrent de demander à des psychologues de statuer sur le cas de Pauline, mais Grégoire Moutel souligna le risque de psychiatriser toute demande sociale.

L’après-midi se termina par l’intervention d’Hélène Malmanche, sage-femme docteur en anthropologie. Elle souligna que le législateur et les centres médicaux n’avaient pas anticipé le nombre de femmes « en parcours solo » demandant une PMA. Hélène Malmanche insista sur le caractère réducteur du « profil-type » de la célibataire presque quarantenaire demandeuse de PMA diffusé par les médias. Toutes les femmes demandant une PMA « en solo » ne sont pas célibataires, bien que la loi française exige qu’elles ne soient pas mariées (en raison de la « présomption de paternité » de l’époux). Elles peuvent être assez jeunes, mais être déçues de l’« hétéroconjugalité » – qu’il s’agisse de leur propre expérience ou de celle de leurs parents. À plusieurs reprises, la conférencière souligna la finesse et la pertinence de l’intervention des étudiants de philosophie, qui représentaient les sciences humaines lors de cette journée.

Les discussions portèrent sur les biais de genre et les discriminations de classe qui pouvaient influencer la décision des centres de PMA : par préjugé, on peut considérer comme « anormal » que Pauline ne veuille plus de relations sexuelles avec un homme, ou juger que Pauline est « trop jeune », parce qu’on a soi-même fait de longues études et eu des enfants à trente ans. Les échanges portèrent également sur les campagnes en faveur du don de gamètes, et sur les lieux adéquats à une telle information. Est-il judicieux que de telles campagnes soient réduites aux maternités, cabinets de sages femmes et d’obstétrique, au risque de culpabiliser les parents qui ne souhaitent pas « partager le bonheur de donner la vie » ? Faut-il traiter de la même manière le don de gamètes, le don d’organes et le don de sang, ou y a-t-il de bonnes raisons pour considérer qu’il ne serait pas adéquat de procéder à des campagnes d’incitation similaires ? Est-ce le rôle du médecin de promouvoir le don de gamètes, au même titre que le don de sang ou la vaccination ? Faut-il informer les donneurs des différentes situations dans lesquelles leurs gamètes pourraient être utilisés, ou est-il négligeable qu’ils croient aider exclusivement des couples infertiles, des couples lesbiens et des femmes nullipares célibataires de plus de 35 ans ? Peut-on faire des campagnes de communication identiques pour le don de sperme et le don d’ovocytes, alors que ce dernier réclame un parcours médical plus complexe, et peut donner lieu à des complications allant jusqu’à la péritonite ? S’ajoute à cela que le don n’est plus entièrement anonyme, les enfants conçus par PMA pouvant désormais avoir accès à leur origine dès l’âge de 18 ans. Cette nouveauté n’a pas réduit le nombre de donneurs, ce dont l’agence de biomédecine et les centres de PMA ne peuvent que se réjouir, mais cette modification de la loi change-t-elle la nature du don et la responsabilité morale qui en découle ? Que le législateur ait considéré comme un bien social que la PMA soit ouverte à « toutes » ne doit pas invisibiliser les donneurs de gamètes, et leur propre discernement moral. Le risque est grand de produire un discours dont les ressorts ne seraient pas éthiques, mais strictement utilitaristes : puisque les demandes de PMA affluent, il faut convaincre les donneurs potentiels qu’ils feraient une bonne action, voire une action citoyenne, en offrant leurs gamètes. Or le don d’organes comme le don de gamètes exigent une prise de décision aussi éclairée et personnelle que celle d’accepter le don d’un tiers anonyme. Il est d’ailleurs demandé aux donneurs d’indiquer, s’ils le souhaitent, les raisons pour lesquelles ils ont fait ce geste, afin que les enfants issus de leurs dons puissent, à 18 ans, le comprendre. Les vifs désaccords entre les intervenants montrèrent qu’on a là un angle mort de la réflexion éthique.

Maud Pouradier
UR Identité et Subjectivité 2129
Membre du conseil d’orientation de l’EREN
Enseignante d’éthique dans le master santé publique parcours « éthique en santé » à l’université de Caen Normandie.

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[1] Orateurs : Anna Gautier, Oriane Glatigny-Curiace, Timothée Joliton. Rédacteurs de la communication : Adrien Barbe (L3 d’histoire, option philosophie), Anna Gautier (L2), Oriane Glatigny-Curiace (L2), Alizéa Habib (L3), Timothée Joliton (L2), Paul Lamy (L3), Kevin Lechanoine (M2), Noé Maneuvrier (L3), Lincey Saint-Felix (L2), Thomas Tafanelli (L3).

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