Philosophing about dance

Mercredi 19 octobre, PhiLiA consacrait la séance de son séminaire à la danse. Nous avons eu le plaisir d’écouter par webconférence, depuis l’Argentine, Gregory Scott, qui participa à une vive discussion philosophique sur la définition de la danse[1] avec Noel Carroll et Sally Banes[2] à la fin des années 1990, ayant pour origine un article de 1982 du « père » de l’esthétique analytique sur cette question : Monroe Beardsley[3].

Dans sa communication, Gregory Scott a repris cette question, en partant de la synthèse de cette controverse proposée par la philosophe française Julia Beauquel dans son livre Esthétique de la danse (PUR, 2015). Gregory Scott souligna en préambule et lors de la discussion que les controverses philosophiques sur les définitions des différents arts sont très loin d’être sans conséquences. Des subventions pour les artistes sont en jeu : il est selon lui crucial de distinguer la danse des arts circassiens par exemple. Selon lui, une performeuse comme Elizabeth Streb est peut-être une artiste, mais il est incorrect de qualifier ses prestations de « danse ». Gregory Scott n’hésite ainsi pas à exclure de l’extension de la danse certaines pratiques performatives, comme Room service d’Yvonne Rainer, datant de 1963. C’est pourquoi, dans son livre, Julia Beauquel le qualifie d’« essentialiste ». En proposant une définition de la danse en termes de « mouvements ordonnés plaisants » – inspirée d’une théorie platonicienne de la danse bien comprise – Gregory Scott soutient la nécessité de prendre en considération la mémorisation d’unités de mouvements ordonnés, qu’il ne faut pas confondre avec ce qu’on nomme un enchaînement. En ce sens, ces « mouvements ordonnés » sont à la danse ce que la mélodie est à la musique. La mélodie est en effet ce qu’il y a, dans la musique, de mémorisable et de répétable par le chantonnement, même si l’on ne connaît rien à la musique. Cette notion de « mémorisation » est d’autant plus importante selon Gregory Scott que la danse contemporaine n’a plus nécessairement un vocabulaire bien déterminé, contrairement à la danse classique et à la danse moderne, notamment.

Julia Beauquel (rattachée aux Archives Poincaré de l’université de Nany) était présente lors de cette séance, et a pu répondre aux questions de Gregory Scott. À maints égards, sa démarche méthodologique est rigoureusement symétrique de celle de Scott, puisqu’elle ne cherche pas à définir la danse, mais l’art chorégraphique. Ce faisant, sa démarche est empiriste et fonctionnaliste : elle s’interdit d’exclure du champ de la danse ce qui est reçu par le monde de l’art comme étant de la danse. D’où sa définition de la danse en termes de « cluster », sur le modèle des symptômes de l’esthétique dans Langages de l’art de Nelson Goodman.

Après l’échange entre les deux philosophes de la danse, les discussions portèrent sur l’opposition entre une théorie continentale de la danse, s’intéressant au « corps » et à la « corporéité » (on peut penser à la philosophe Paule Gioffredi, de l’université de Lyon, dont la réflexion est très inspirée de Merleau-Ponty), et une théorie analytique de la danse, partant du « mouvement », et dont les références philosophiques sont plutôt des théoriciens de l’action comme Anscombe et Davidson. Dès lors, comme le souligna Claudio Veloso, la question de la représentation dans la danse est laissée de côté. Comme y insista Pierre Fasula, cela interdit de penser les éventuelles similarités entre le jeu d’acteur et la performance chorégraphique. Ann Moradian, théoricienne américaine de la danse, enseignante et chorégraphe, se connectant depuis New York, participa aux discussions en soulevant le problème de la place de l’improvisation dans les pratiques chorégraphiques. Gregory Scott souligna que les « mouvements ordonnés » (qu’il nomme du mot grec-valise melkine ou mouvement de miel) pouvaient servir d’alphabet à l’improvisation.

La prochaine séance de PhiLiA aura lieu le 23 novembre à 14h à la MRSH en salle des actes, et portera sur l’esthétique environnementale d’Arnold Berleant. Les intervenants (Justine Balibar et Charles Bobant) s’intéresseront plus particulièrement au livre récemment traduit en français du philosophe américain (L’engagement esthétique, PUR, 2022). Pour plus d’informations, être sur la liste de diffusion ou obtenir un lien de connexion, contacter maud.pouradier@unicaen.fr et pierre.fasula@univ-paris1.fr .

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[1] Scott, Gregory. “Banes and Carroll on Defining Dance.” Dance Research Journal 29, no. 1 (1997): 7–22. https://doi.org/10.2307/1478234

[2] Carroll, Noël, and Banes, Sally,  “Working and Dancing: A Response to Monroe Beardsley’s ‘What Is Going on in a Dance?’” Dance Research Journal 15, no. 1 (1982) : 37–41. https://doi.org/10.2307/1477693 ; Carroll, N., & Banes, S. (1998). II. Expression, Rhythm and Dance: A Response to Gregory Scott. Dance Research Journal, 30(1), 15-24. doi:10.2307/1477891

[3] Beardsley, Monroe C. “What Is Going on in a Dance?” Dance Research Journal 15, no. 1 (1982): 31–36. https://doi.org/10.2307/1477692

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