Crise sanitaire, confinement et intérêt général. Un regard du point de vue de l’éducation à faire advenir

Si la pandémie liée au Covid-19 est au premier chef un problème de santé publique, le confinement qui a été mis en œuvre intéresse les sciences humaines : c’est bien une expérience inédite que nous vivons, qui relie chaque personne à la notion d’intérêt général. Et le territoire d’observation in vivo qui nous est offert soit directement, soit au prisme des médias ou encore des réseaux sociaux, chacun captant et relayant la réalité, ici mettant la focale sur tel aspect, là ignorant ou contournant d’autres aspects, constitue un gisement de matériaux important, même s’il est complexe.

La question que je souhaite discuter est la possibilité d’éduquer chacun à la notion d’intérêt général. C’est à la fois une question d’éducation scolaire et d’éducation extra-scolaire car elle interpelle non seulement le système éducatif et ses acteurs, mais aussi les diverses institutions éducatives que sont d’abord la famille mais aussi beaucoup d’autres espaces qui accueillent des enfants et plus largement des jeunes.

Éduquer est une vaste notion, historiquement chargée d’idéologie, qui comprend deux registres complémentaires en interaction : (1) l’instruction, au sens de connaissances et de savoir-agir à transmettre,  et (2) socialisation[1], plutôt mise à l’arrière-plan et presque oubliée par le système éducatif, surtout lorsque ce dernier se focalise prioritairement sur les performances scolaires qu’il mesure à l’aune de la notion de compétences, en pensant que celles-ci sont totalement objectivables.

Le confinement est lié à l’intérêt général car il protège non seulement chacun mais aussi et surtout les plus vulnérables et la possibilité qu’ils trouveront un lit en réanimation si besoin est le moment venu. Paradoxalement, il matérialise bien, au delà du fait de rester chez soi avec mille inconvénients possibles, la notion de vivre ensemble, qui constitue l’objectif de la socialisation mais qui est invisible… en tout cas plus difficile à saisir que tel ou tel bien matériel, immédiatement consommable. 

Matérialiser l’idée d’intérêt général, c’est rendre palpable non seulement l’action médiatisée des premiers de cordées, mais aussi, la foule des solidarités invisibles et quotidiennes, par exemple celles des soignants qui il y a peu criaient dans le désert ou presque pour être pris en compte. En creux, c’est aussi repérer les incivilités qui par égoïsme, insouciance ou bêtise, piétinent l’intérêt général, en l’occurrence notre santé sanitaire qui est un bien commun, mis sur le devant de la scène.

Toutes les instances éducatives, et l’école est ici en première ligne, ont à relever un défi qui requiert inventivité, courage et ténacité : mettre en mots mais surtout en actes des pratiques qui permettent aux jeunes -et finalement à tous- de penser et d’agir cette notion d’intérêt général, afin de ne pas la laisser repartir dans les préoccupations secondaires de l’éducation.  Les méthodes actives, les espaces d’écoute et de dialogue, des ateliers de diverses natures sont des vecteurs pour y parvenir. Sans doute aussi est-ce l’occasion de réfléchir, au delà de l’éducation, à un modèle de société, qui serait d’abord une communauté de vie et pas seulement une organisation au service de la consommation de biens et services, où liberté individuelle et intérêt général, en dialogue, pourraient aider à sortir de l’ornière des crises récurrentes qui alertent sur le trop peu de cas fait à l’intérêt général et aux solidarités horizontales ou transverses :  crises sanitaire, écologique, économique, sociale… On retrouve une raison à donner vie à cet aphorisme connu : changer la société pour changer l’école ou changer l’école pour changer la société. Car l’intérêt général s’apprend, s’éprouve, s’expériencie et se transmet. Un défi nécessaire à relever quand la parenthèse « confinement » sera refermée.

Thierry Piot
Cirnef EA 7454, Université de Caen Normandie

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[1] La socialisation peut être succinctement définie par celle-ci pouvant être définie comme le processus au cours duquel un sujet apprend à vivre en société, durant lequel il intériorise  les normes et les valeurs, et par lequel il construit son identité individuelle et sociale.

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